Par Sabri Schumacher le 14.3.2019
Catégorie: Égalité

«Un problème invisible pour les autres»

Marie* est infirmière de nuit et mère de trois enfants. Elle n'est de loin pas la seule dans son cas en Suisse: il n'y a guère de pays européen où autant de mères travaillent tout en élevant leurs enfants.

* Marie, qui ignore comment son employeur réagira à son engagement en faveur de la grève féministe, souhaite rester anonyme.

Te sens-tu concernée par notre revendication «Double charge de travail et sous-payée»?

Marie: Oui, au quotidien! Le jour, je m'occupe des garçons et me charge des différentes tâches ménagères. Les nuits où je travaille, j'enchaîne en tant qu'infirmière. Je fais alors une journée de 26 heures entrecoupées de deux heures de sieste. Parfois, je me demande comment je tiens. J'effectue – comme toutes les mères au fond – un énorme travail, qui n'est pas reconnu au moment de la retraite: travaillant à 40%, j'aurai un deuxième pilier correspondant.

Fais-tu tout le travail à la maison? 

Mon conjoint est sensible à la valeur de l'équité, nous essayons de répartir équitablement les tâches. Mais je me charge seule de l'organisation. Une femme qui a des enfants est confrontée à une gestion familiale impressionnante, comparable à celle d'une petite entreprise. Compétence par ailleurs non reconnue dans le monde professionnel. Les mères font bien souvent passer les intérêts du reste de la famille d'abord, pour que tout fonctionne. J'ai changé de travail pour qu'il soit compatible avec notre organisation familiale. Mon compagnon ne s'est pas posé cette question. C'est le plus souvent la femme qui s'adapte. Ne sommes-nous pas conditionnées ainsi par la société?

Comment ce problème pourrait-il être résolu?

Je pense que le travail effectué à la maison devrait être reconnu et donc rémunéré, en particulier pour prendre soin des enfants, qui sont notre avenir. Il a été calculé que ce travail vaut entre 5800 et 7000 francs par mois. Afin d'arriver à une meilleure répartition des tâches et une plus grande participation des hommes, il faudrait qu'ils puissent diminuer plus facilement leur taux d'activité et avoir droit à un véritable congé paternité. Celui-ci permettrait aux pères d'assumer les tâches et responsabilités ainsi que d'acquérir les compétences liées à leur nouveau rôle, au même titre que les femmes.

La grève féministe du 14 juin va-t-elle améliorer la situation?

Si beaucoup de femmes se mobilisent, j'ai l'espoir que nous soyons entendues. C'est un moyen symbolique qui illustre le besoin d'une répartition des richesses différentes de celle existant aujourd'hui: Nous disons stop et provoquons un débat politique. Même dans un hôpital, il est possible de faire la grève. Je l'ai vécu une fois: nous avons fait le minimum, travaillé au ralenti, sans que personne ne soit mis en danger. J'espère qu'il y aura une forte participation des hommes aussi. Parce que ce n'est pas le problème des femmes, mais un problème de notre société, qui ne peut évoluer qu'avec la participation de chacune et chacun.

Comment vas-tu t'engager? 

J'essaierai de mobiliser mes collègues, mais ce sera difficile parce que c'est mal vu dans ce métier avec peu de culture syndicale. Les hommes sont plus habitués à se défendre que les femmes, qui, tant au travail que dans la famille, prennent sur elles. Pourtant, il arrive un moment où nous sommes contraintes d'agir. Voilà pourquoi je me suis syndiquée, il y a 10 ans.

Conseillerais-tu à une jeune femme de fonder une famille?
Oui, parce que c'est une expérience extraordinaire. Je suis convaincue que les mères ont une réelle influence: elles peuvent transmettre des impulsions positives concrètes en lien avec l'égalité, à leurs enfants, aux générations à venir. Mais je tenterais de la rendre attentive au choix de son compagnon, à sa bienveillance et à son ouverture au dialogue afin de leur permettre de mettre en place une répartition des tâches qui leur convienne à tous les deux et qui puisse évoluer.

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