Par Marco Geu le 20.9.2019
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Migros: les managers ont pris les commandes

Depuis peu, nous entendons de la part de Migros un discours qui pendant des décennies aurait été inconcevable. Manque de rentabilité, augmentation du rendement, restructuration, suppressions de postes – autant de sujets qui n'étaient jamais évoqués, puisque l'entreprise ne connaissant que croissance et succès. Le temps des vaches grasses étant révolu, la direction semble perplexe et désemparée.

Avec des centres commerciaux poussant partout dans le pays comme des champignons, le commerce de détail a, au fil du temps, créé une énorme surcapacité. L'existence de beaucoup de ces centres est aujourd'hui menacée par la croissance exponentielle du commerce en ligne.

Durant l'ère Herbert Bolliger, la Migros a elle aussi été saisie de la fièvre des acquisitions. Elle a acheté encore et encore, tous azimuts, et s'est énormément agrandie. Une stratégie qui fait partie de son ADN: Gottlieb Duttweiler avait déjà connu le succès en investissant dans des domaines étrangers au commerce de détail pour y réduire les prix en rationalisant et en profitant de l'effet d'échelle. Mais Gottlieb Duttweiler, «Dutti», comme on l'appelle affectueusement outre-Sarine,recourait à ces pratiques principalement pour offrir des prix plus bas à ses clients. «Dutti avait toujours notre intérêt à cœur», entends-on encore dans tout le pays. Et c'est par conviction que de nombreuses personnes restent clientes de Migros. Deux générations de cadres Migros se sont elles aussi senti une dette envers l'héritage de Gottlieb Duttweiler. Quant à la troisième, elle semble ne plus considérer la coopérative que comme un instrument de marketing.

Migros fait désormais partie des grandes entreprises suisses dont se sont emparés les managers. Aveugles à tout ce qui n'est pas chiffres-clés, bilans trimestriels et leurs bonus, ils vont la mener de la même main de fer que d'autres secteurs de l'économie suisse. Certes, les restructurations ne sont pas une mauvaise chose en soi. Mais lorsqu'elles sont motivées par l'unique ambition d'accroître les marges, faire baisser les salaires et gonfler les égos, elles sont contre-productives.

Que cette main de fer s'abatte d'abord sur le personnel, le plus important facteur de coûts dans une entreprise de services, est conforme à la logique des managers. D'un point de vue économique, par contre, c'est une idiotie. Henry Ford savait déjà que ce n'est pas grâce aux milliardaires qu'il deviendrait milliardaire, mais grâce au petit peuple des travailleurs. Lorsqu'une partie toujours plus importante de la population perd son pouvoir d'achat, l'économie en souffre, et Migros avec elle. De surcroît, au-delà de ses retombées économiques négatives, chaque licenciement affecte personnellement les employés concernés et leur entourage. La confiance dans le système s'effondre, avec des conséquences imprévisibles.

«Dutti», qui a survécu à deux guerres mondiales, à plusieurs faillites et à de nombreuses crises en a tiré une conclusion: l'économie doit être au service de la population et non l'inverse.«Le profit n'était pas notre objectif, mais il est venu quand même», aimait-il à répéter. Nous invitons les managers Migros à se réapproprier cette vision.

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