Par Juan Barahona le 2.6.2020
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«Revenir à la normale, comme avant? JAMAIS!»

Collaboratrice depuis 40 ans au sein de l'actuel Réseau hospitalier neuchâtelois, Corinne Béguin-Dalrio sait de quoi elle parle. Dans cet entretien, la technicienne en radiologie médicale de 58 ans partage ouvertement ses sentiments. Pour elle, l'après covid-19 est crucial.
Corinne, comment as-tu vécu cette phase aigüe de la crise sanitaire? As-tu le sentiment que ton travail a été considéré à sa juste valeur?

Corinne Béguin-Dalrio: Nous, les TRM, on se sent un peu dévalorisés. Nous sommes les oubliés des soignants. Pourtant nous constituons un maillon essentiel dans la prise en charge des patients covid-19. Plus de 80% d'entre eux passent par l'imagerie médicale. Une radio des poumons complète le dépistage par frottis nasal. Par ailleurs, nous sommes également exposés aux risques. Le contact avec les patients, que nous devons porter, déplacer du lit au scanner, est évidemment très proche. Nous sommes nous aussi en première ligne.

As-tu ressenti de la peur pendant ton travail face au virus?

Non, je n'ai pas vraiment été angoissée. J'ai surtout été beaucoup plus précautionneuse. Ce genre de situation est toutefois un peu anxiogène, car on ne connaît pas tout du virus, s'il peut rester en suspension dans l'air, jusqu'où cela peut aller. J'avais surtout plus peur des autres que de moi.

As-tu le sentiment d'avoir pu compter sur le soutien de ta hiérarchie et des autorités?

Oui. J'ai été étonnée en bien. Hormis quelques flottements au début, la hiérarchie a bien géré la crise. La direction a bien anticipé les choses. On a pu bénéficier rapidement d'aide extérieure, et nous étions régulièrement informés sur l'évolution de la situation. Les mesures prises par exemple pour faciliter l'accès au travail et réduire les temps de trajets ont été appréciées. Du côté des autorités, même si la communication a été bancale, le fait d'anticiper au 1er avril l'augmentation de 1,2% de la grille salariale annoncée pour décembre doit être souligné.

Et de la population?

Oui, bien sûr. Je crois que les gens se sont un peu réveillés et se sont rendu compte que le personnel de santé est essentiel et qu'il y a dans la vie des situations plus importantes que venir aux urgences pour un poil incarné.

La CCT Santé 21 est également une source de sécurité?

Ô combien, oui! D'abord, du point de vue de la sécurité des salaires. Ensuite et de manière plus large, elle est une garantie contre la flexibilisation des conditions de travail. La CCT a été respectée malgré la décision du Conseil fédéral de faire sauter la loi sur le travail.

Qu'est-ce que cette crise t'a appris?

Qu'il faut savoir se réinventer tous les jours. Il a fallu suivre et s'adapter quotidiennement aux nouvelles directives fédérales et institutionnelles concernant l'imagerie médicale. Il a aussi fallu savoir se débrouiller avec le matériel et les appareils, trouver des solutions, réparer, en cas de problèmes car le recours à un dépannage externe était impossible. En résumé, faire preuve d'une grande adaptabilité, ce qui me plaît.

On parle beaucoup de prime actuellement pour le personnel de la santé, quel est ton sentiment?

À l'hôpital, toutes les professions se sont mobilisées pour les soins. Les nettoyeuses, les cuisiniers, les services techniques, et tous les autres, méritent aussi d'être reconnus. Tous méritent à court terme de recevoir une «prime» pour le risque encouru et les efforts consentis dans un contexte très particulier. On doit aussi élargir cette reconnaissance à d'autres secteurs d'activités, également concernés, tels que les vendeuses, les chauffeurs, les policiers, pompiers, ambulanciers, etc.

Une prime en argent ou en temps?

L'idée d'une reconnaissance sous forme de vacances supplémentaires, à pouvoir prendre à notre convenance d'ici fin 2021, me plaît assez.

«Je crois que les gens se sont un peu réveillés et se sont rendu compte que le personnel de santé est essentiel.»

Corinne Béguin-Dalrio
Technicienne en radiologie médicale, Neuchâtel
Membre Syna depuis 11 ans
Une prime ça suffit, la question est réglée et après on n'en parle plus?

Revenir à la normale, comme avant? JAMAIS! Toutes les professions de la santé méritent d'être revalorisées à long terme, du point de vue des effectifs, des salaires et de la formation. Il faut «certifier» le personnel. La qualité du travail passe par la qualité de la formation. En outre, il est nécessaire d'en finir avec la rentabilité à tout prix et le financement forfaitaire par cas. La relation avec les patients a chuté. Nous n'avons plus le temps d'échanger avec eux!

Tu ressens des lacunes en termes de formation pour ta profession?

Quand on réclame une formation, elle est souvent refusée, on a le sentiment que les infirmières ont la priorité. Alors que notre métier évolue rapidement d'un point de vue technique. Il y a un vrai besoin de formation continue. Pour les techniciens en radiologie, l'offre est pauvre en Suisse romande. On doit souvent aller en France voisine. Et à nos frais.

Et la pénibilité?

On en parle beaucoup mais elle n'est jamais prise en compte. Des modèles d'aménagements de fin de carrière et de retraite anticipée sont urgents.

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